LA CROIX DE PROCESSION - PARTIE I : CONFUSION ?

Destinée à accompagner les cortèges religieux (Photo 1) la Croix de Procession est généralement "illustrée" des 2 côtés.

L'objet principal de la Croix de Procession est de rassembler les Hommes autour de l'image du Sauveur. L'image du Christ occupe donc le recto de la Croix de Procession c'est-à-dire l'image à regarder en premier.

Le verso de la Croix est secondaire. Le thème qui l'anime dépend des intentions du commanditaire de la Croix. On peut entrevoir Dieu Le Père ou la Vierge Marie, le Saint Fondateur d'un Ordre ou simplement le Saint Patron de l'Eglise à qui est offerte la Croix.

Sur les bras de la Croix ou à ses extrémités les Evangélistes sont souvent évoqués ainsi que les Docteurs de l'Eglise.

La Croix de Procession représente parfois la scène du Golgotha. Dans ce cas la Vierge et Saint-Jean encadrent le Christ en Croix au pied duquel se trouve le crâne d'Adam ou un symbole qui rappelle que notre mort est inéluctable. Marie-Madeleine, bien sûr, peut apparaître au pied de la Croix. (Photo 2)

L'Homme du Moyen-âge était asservi aux règles de l'Eglise et il ne lui serait pas venu à l'idée de bouleverser les codes de l'iconographie ! Ce n'est pas le sentiment que l'on a quand on regarde attentivement les Croix de Procession …

En Ile-et-Villaine, les villages de Rimou et de Saint-Rémy-du-Plain se trouvent à quelques kilomètres de distance. Chacune de leur paroisse possède une Croix de Procession. Les Croix des 2 paroisses sont semblables, elles ont été produites vers 1550.
Les 2 Croix présentent sur une face le Christ en Croix et sur l'autre face, l'une présente le Saint Patron de la Paroisse et l'autre la Vierge à l'Enfant.

Sur la Croix du village de Rimou (Photo 3), le Christ est entouré des 4 Pères de l'Eglise (Photo 5) et sur la Croix du village de Saint-Rémy-du-Plain (Photo 4), le Christ est entouré des 4 Evangélistes (Photo 6)

En fait les 2 Croix sont "illustrées" sur une face par les Pères de l'Eglise et sur l'autre face par les Evangélistes mais sur l'une des 2 Croix, sans que l'on sache précisément laquelle, la place du Christ a été inversée !

Des situations d'inversion comme celle-ci ne sont pas rares …

La Croix de Saint-Rémy-du-Plain présente le Bœuf de Saint-Luc dans le prolongement du bras droit du Christ (Photo 6) tandis que dans le prolongement du bras droit du Christ sur la Croix de Saint-Servant-sur-Oust on trouve le Lion de Saint-Marc (Photo 7) !

Poursuivons avec les Photos 8 & 9. Elles nous révèlent les 2 faces d'une même Croix avec sur une face le Christ en Croix et sur la face opposée l'Agnus Dei.

Or, la photo 10 qui est un plan rapproché de la Croix processionnelle de Dijon visible sur Wikipedia on observe que le Christ est présenté sur la même face que l'Agnus Dei !

Nous pourrions multiplier les exemples à l'infini …

Reconnaissez que c'est curieux d'observer autant de variations iconographiques autour d'un objet aussi codifié que la Croix.

Ces variations ne sont pas le fait de l'Atelier qui a assemblé la Croix à l'origine car le commanditaire ou son ayant-droit était présent pour réceptionner l'ouvrage. Ni l'un ni l'autre n'aurait accepté la moindre entorse aux règles ...

C'est donc à l'occasion d'une restauration ou d'une réparation que les codes de l'iconographie ont été modifiés.

Dans la réalité, les Croix les plus anciennes ont subi de multiples interventions qui ont multiplié les inversions, les remplacements ou les rajouts.

Ces transformations entretiennent une grande confusion et empêchent une bonne lisibilité des Croix.

Mais, il n'y a pas que cela !

Il y a eu une autre intervention, bien plus importante, qui a profondément modifié la lecture d'une majeure partie des Croix de Procession !

Publié le vendredi 23 décembre 2011


LA CROIX DE PROCESSION - PARTIE II : LA PLACE DES 4 EVANGELISTES ?

Les Croix de Procession ont subi de multiples interventions qui ont profondément modifié la position de leurs ornementations.

Afin de retrouver la place initiale occupée par les quatre Evangélistes il faut se tourner vers des images qui n'ont pas subi d'altérations autres que celles qui résultent de la dégradation par le temps.

Ces images sont les tympans des Cathédrales car édifiées sous la conduite des Evêques on peut postuler que leur symbolisme est juste.

Au-dessus de son portail occidental, la Cathédrale d'Angers (Photo 1) présente le Christ bénissant entouré par les symboles des 4 Evangélistes. On observe que le Lion, symbole de Saint-Marc, se trouve à la droite du Christ et que le Bœuf, symbole de Saint-Luc, se trouve à la gauche du Christ. Quant à l'aigle de Saint-Jean et à l'Homme de Saint-Matthieu, ils occupent la partie supérieure du tympan.

Les portails des Cathédrales de Chartres (Photo 2) et de Bourges (Photo 3) affichent la même disposition.

Car c'est bien sous cette forme dite des « Quatre Vivants » qu'ont été figurés pour la 1ère fois les 4 Evangélistes. C'est une représentation qui trouve son origine dans la vision du prophète Ezéchiel. Une vision peinte avec brio en 1518 par Raphaël sur le tableau conservé à Florence au palais Pitti. (Photo 4)

Sur la Croix, le Lion de Saint-Marc et le Taureau de Saint-Luc conservent leur place respective à droite et à gauche du Christ. Quant à l'Homme de Saint-Matthieu et à l'Aigle de Saint-Jean, leurs places découlent du bon sens avec l'Aigle en position céleste au-dessus de la tête du Christ et l'Homme en position terrestre aux pieds du Christ.

La Croix de Giacomo de Grandi (Photo 5) datée de 1548 respecte à la lettre la place des 4 Evangélistes ...

Mais les Evangélistes ne sont pas les seuls hôtes prestigieux de cette Croix. Sur l'envers, les 4 Pères de l'Eglise d'Occident : Jérôme, Grégoire Augustin et Ambroise ont été représentés (Photo 6)

Les 2 questions qui se posent désormais sont de savoir s'ils occupent la bonne place autour de la Croix et si on peut établir un parallèle entre les 4 Pères de l'Eglise et les 4 Evangélistes ?

Publié le vendredi 30 décembre 2011


LA CROIX DE PROCESSION - PARTIE III : LA PLACE DES 4 PERES DE L'EGLISE ?

Afin de statuer sur la place occupée par chaque Père de l'Eglise autour de la Croix intéressons-nous en priorité à Saint-Jérôme et à Saint-Grégoire dont l'identification ne pose pas de difficulté grâce à leur couvre-chef : la tiare papale portée par Saint-Grégoire et le chapeau cardinalice porté par Saint-Jérôme.

Sur la Croix de Giacomo de Grandi, datée de 1548, Saint-Grégoire occupe la partie haute de la Croix (Photos 1 & 2) et Saint-Jérôme occupe la partie basse (Photos 3 & 4). Cette disposition associe donc Saint-Grégoire à l'Aigle de Saint-Jean et Saint-Jérôme à l'Homme de Saint-Matthieu.

Vers 1516, Pier Francesco Sacchi a peint les 4 Pères de l'église (Photo 5) sur un panneau de retable conservé aujourd'hui au musée du Louvre. Chaque Père est associé au symbole d'un Evangéliste et on observe que Saint-Jérôme échange un regard avec l'Ange, l'Homme " ailé " de Saint-Matthieu, et qu'aux pieds de Saint-Grégoire est assis le Taureau de Saint-Luc.

Pier Francesco Sacchi applique donc une règle iconographique différente de celle qui est appliquée sur la Croix de Giacomo de Grandi !

Pour les départager, tournons-nous vers une 3ième représentation qui associe les Evangélistes aux Pères de l'Eglise.

C'est la voûte de l'Eglise paroissiale de Santa Maria Assunta à Elva dans le Piémont (Photo 6). Sur cette voûte peinte à la fin du XVe siècle, Jérôme - à droite sur la photo - partage le même banc que Marc tandis que Grégoire - en bas sur la photo - est assis sur le même banc que Jean.

Pas de chance !

En associant Grégoire à Jean et Jérôme à Luc, la voute d'Elva suit pour moitié la règle iconographique appliquée par Pier Francesco Sacchi et pour l'autre moitié celle appliquée sur la Croix de Giacomo de Grandi.

Soyons clairs : il y a 4 Evangélistes, il y a 4 Pères de l'Eglise , il y a 4 emplacements sur chaque face d'une Croix de Procession, je vous laisse faire le compte, le nombre d'arrangements est élevé et dîtes-vous que vous êtes susceptible de rencontrer n'importe lequel de ces nombreux arrangements sur n'importe quelle Croix de Procession !

Je m'autorise néanmoins à vous exprimer une opinion ...

Le Pape Saint-Grégoire est le plus haut dignitaire de l'Eglise parmi les 4 Pères. Il lui revient la place de Saint-Jean au sommet de la Croix avec l'Aigle comme symbole.

L'expérience du désert de Jérôme l'anachrorète ainsi que ses écrits sur les Hommes Illustres lui réserve la place au pied de la Croix, raison pour laquelle de nombreux artistes l'ont représenté avec l'Ange du Jugement qui est le symbole de Saint-Matthieu (Photo 7). Sur les représentations de Jérôme anachorète vous observerez également une vanité ce qui confirme la place de Jérôme au pied de la Croix.

Mais la Légende dorée de Jacques de Voragine a creusé un sillon profond dans l'iconographie en associant Saint-Jérôme au Lion de Saint-Marc ce qui conduit à le trouver souvent à la place que Marc sur le bras droit de la Croix.

Le traité de Saint-Ambroise sur l'Evangile de Luc le prédispose à être associé au Bœuf et à se placer sur le bras gauche de la Croix. Quant à Augustin, il occupe la place laissée vacante par Saint-Jérôme selon que ce dernier est associé au Lion ou à l'Ange.

En définitive, la Croix de Giacomo de Grandi peut être considérée comme une référence. Gardez-la en mémoire, elle fait la couverture et le dos de l'ouvrage " IN HOC SIGNO - IL TESORO DELLE CROCI " que je cite comme un repère bibliographique.

La complexité de l'iconographie de la Croix de Procession ne s'arrête pas là. Un fait majeur est venu troubler des règles iconographiques déjà bien aléatoires !

Publié le vendredi 6 janvier 2012


LA CROIX DE PROCESSION - PARTIE IV : LE CHRIST EST RAREMENT D'ORIGINE

Quel est ce fait majeur qui contrarie la lecture iconographique des Croix de Procession ?

Vous allez faire votre propre opinion en regardant ces quelques exemples …

La Photo 1 montre une Croix de Procession de Savoie. Réalisée sur une âme de bois la Croix est entièrement revêtue d'une feuillard de cuivre repoussé, ciselé et doré. A la croisée se trouve l'Agnus Dei.

Croyez-vous que l'Orfèvre se serait attaché à produire un si long travail d'orfèvrerie pour venir ensuite percer les bras de la Croix afin de clouer un Christ et finalement masquer l'Agnus Dei ?

Evidemment, non ! Cette croix expose l'Agnus Dei sur une face et il est inutile d'exposer en plus le corps du Christ.

La Photo 2 montre une imposante Croix du XVe siècle.

Ne trouvez-vous pas un peu réduites les dimensions de son Christ ? Notez aussi qu'il est d'une époque antérieure à la Croix !

La Photo 3, à l'inverse de la photo précédente, présente un Christ sur la Croix dont les dimensions sont excessives par rapport aux dimensions des bras ! Et, il masque une partie du décor.

A partir de ces exemples vous êtes en droit de vous interroger si sur ces Croix le Christ d'origine a disparu et a été remplacé par un autre ou si il n'y avait pas de Christ à l'origine sur la Croix ?

En réalité, la réponse diffère selon l'ancienneté de la Croix ou selon sa technique de production

Les Croix d'orfèvrerie construites autour d'une âme en bois et recouverte de métaux précieux n'arboraient pas de Christ ou alors elles présentaient un Christ avec la même technique de production que la Croix c'est-à-dire un Christ mis en forme dans une feuille de métal précieux.

La Photo 4 en présente un bel exemple. Relevez au passage la position des sertissages des pierres qui sont positionnés de part et d'autre des bras du Christ afin que les pierres restent bien visibles.

La Photo 5 présente un autre très bel exemple qui date du XIIe siècle. Cette Croix est conservée au Metropolitan Museum of Art.

Au moyen-âge, les métiers d'Orfèvre et de Fondeur étaient différents et il n'était pas fréquent qu'un Orfèvre s'adresse à un Fondeur pour lui fournir un Christ.

Il existe des Croix avec leur Christ d'origine coulé dans le bronze, elles sont plus tardives : 17e ou 18e siècle et elles sont souvent , elles-mêmes, coulées dans le bronze , ciselées et dorées ou argentées. Elles sont rares et seul un examen minutieux de la Croix et des fixations des éléments du décor peut apporter la garantie que le Christ est bien d'origine.

Publié le vendredi 13 janvier 2012