CHRIST EN IVOIRE DE L'ECOLE DIEPPOISE 
DU 17E SIECLE 

CHRIST EN IVOIRE DE L'ECOLE DIEPPOISE DU 17E SIECLE


En 2007 le Château Musée de Dieppe a publié dans la série Les cahiers de l'ivoire La vie du Christ.  Cet ouvrage présente, abondamment illustrée, la quasi-totalité des Christs en Ivoire conservés au Musée de Dieppe.

Lorsque j’ai acquis ce numéro des Cahiers de l'Ivoire j’ai été consterné en découvrant à la page 71 l'extrême pauvreté du corpus des Christs en Ivoire attribués au XVIIe siècle à l’ivoirerie dieppoise. N'ignorant ni le savoir-faire déployé par les Maîtres Ivoiriers au XVIIe siècle ni la renommée de la ville de Dieppe solide dès la fin du XVIe siècle j’ai pensé que cette page 71 n’élevait pas à la hauteur qu'elle le mérite l'ivoirerie dieppoise pour cette période reculée.

A partir de cet instant je n’ai pas douté qu’un jour ou l’autre un Christ en Ivoire surgira de nulle part et effacera cette injustice rendue aux ivoiriers dieppois du XVIIe siècle.

Ce jour est venu et le Sculpteur qui nous offre le témoignage du réel savoir-faire des Maîtres Ivoiriers Dieppois au XVIIe siècle a signé son ouvrage du nom de FILIE, un nom qui n'est pas celui d'un Inconnu.

Le Musée de Dieppe conserve dans ses Collections un portrait signé Filie f comme en témoigne Ambroise MILET lorsqu’il publie en 1904 le Catalogue du Musée de Dieppe. A la rubrique PORTRAITS-MÉDAILLON ET BAS-RELIEF Ambroise MILET décrit sous le N°1477 Profil de la princesse Palatine, mère du duc d'Orléans. Signé: « Filie f. », nom d’un ivoirier dieppois. XVIIe siècle.
 
Il est intéressant de noter que la princesse Palatine de son vrai nom Élisabeth-Charlotte du Palatinat (1652-1722) qui fût la seconde épouse de Philippe d’Orléans (1640-1701), premier frère cadet du roi Louis XIV (1638-1715), était de confession protestante.  Une confession à laquelle elle a du renoncer afin d’épouser Philippe d’Orléans. Cet aspect de la personnalité de la princesse Palatine n’est pas anodin car nul n’ignore que Dieppe était au XVIe siècle et au XVIIe siècle une ville à majorité protestante. 

En 1685, la révocation de l’Edit de Nantes a provoqué une exode massive des familles protestantes qui résidaient à Dieppe et dans sa région. Nombre de sculpteurs dieppois se sont exilés afin de se réfugier dans des terres plus accueillantes et/ou plus tolérantes. 

On peut penser que FILIE, probablement de confession protestante comme le suggère son attachement à la princesse Palatine, a pris le chemin de l’exil ce qui expliquerait l’ignorance quasi-totale que l'on a de son parcours. On peut également envisager que son exil l'a conduit vers une terre germanique. En effet il est frappant d’observer que son Christ en Ivoire affiche une iconographie similaire à celle des Christs que traditionnellement les Maisons de Vente et/ou leurs Experts attribuent aux écoles lorraines des années 1660/1680 : position frontale, puissante musculature, bras à 45°, chevelure abondante, position des doigts des mains, 4 clous, absence de couronne d’épines, double cordons pour le maintien du perizonium, pendant du perizonium à droite (disparu sur le Christ dieppois) etc .

La seule différence frappante est le dessin du perizonium, une différence sur laquelle je reviendrais.


                             Etude de Me De Ricqles Vente du 22/10/2000

                     Christ en bois attribué à une  Ecole Lorraine vers 1660-1680                                      Christ en Ivoire signé FILIE

 Christ en bois attribué à une  Ecole Lorraine vers 1660-1680


Les similitudes entre le Christ signé FILIE et le Christ attribué à l'Ecole Lorraine par l'Etude De Riqles conduit à s’interroger sur l’influence des sculpteurs dieppois de confession protestante qui par leur exil ont essaimé leur savoir-faire dans les écoles de sculpture de diverses régions d'Europe.

Si le sculpteur FILIE n’avait pas laissé sa signature sur le médaillon conservé au Musée de Dieppe on aurait ignoré son existence. Son Christ en Ivoire est la preuve de son talent artistique.  La maitrise de son art est totale et démontre que l’Ecole dieppoise exprimait au XVIIe siècle un savoir-faire parmi les plus remarquables d’Europe.

J’ai fait remarquer qu’une différence frappante entre le Christ de l’Ecole Lorraine et le Christ de FILIE était le dessin du perizonium. Les plus avertis d’entre vous auront remarqué que le dessin du perizonium du Christ de FILIE est typiquement le dessin du perizonium des Christs traditionnellement attribués à

Christ conservé au Museo Statale di Mileto attribué à Algardi sculpté autour de 1640
Exemple, ce Christ conservé au Museo Statale di Mileto 
attribué avec une grande conviction au Maître italien qui l'aurait sculpté autour de 1640   

        Le perizonium du Christ en Ivoire attribué à Alessandro Algardi (1598-1654)
            conservé au Museo Statale di Mileto                                                                                                 Le perizonoum du Christ en Ivoire signé FILIE
perizonium du Christ en Ivoire attribué à Alessandro Algardi (1598-1654)


Le Christ en Ivoire de l'Ecole Dieppoise supporte sans rougir la comparaison avec le Christ en Ivoire attribué à Alessandro Algardi (1598-1654) et en l'absence de signature sur le Christ conservé à Mileto on peut s’interroger si ce n’est pas un Maître ivoirier dieppois qui l’aurait sculpté ?

Sauf erreur sur la datation du Christ conservé à Mileto cela est peu probable car Alessandro Algardi a précédé FILIE sur notre bonne Terre alors, plus sûrement, on peut penser que le sculpteur dieppois qui a signé son Christ FILIE a fait le voyage à Rome et a admiré un Christ d’Alessandro Algardi ou, plus simplement, l’a découvert sur une gravure.

L’exil en 1684 des sculpteurs dieppois de confession protestante et quelques années plus tard en 1694 le bombardement de la ville de Dieppe par la flotte anglo-néerlandaise qui réduisit en cendres la quasi-totalité de la ville  expliquent probablement la quasi disparition de toutes les œuvres dieppoises antérieures à ces années de guerre et de feu d'où la pauvreté des Collections du Musée de Dieppe pour cette période de l’histoire.

Par quel miracle le Christ de FILIE nous est parvenu, nul ne le sait. Dans l’ignorance des dates de vie de FILIE on peut envisager qu’il a sculpté ce Christ en ivoire après son exil de Dieppe lui offrant ainsi un avenir plus certain. Là encore, nul ne le sait.

Ce Christ demeure néanmoins un témoignage indiscutable du savoir-faire de l’ivoirerie dieppoise aux confins du XVIIe siècle et plus généralement des Sculpteurs en activité dans la ville de Dieppe et il rejoint en cela le Christ de  que j'ai déjà commenté et qui est indiscutablement un chef d’œuvre ainsi qu’un second Christ de même facture également signé I GAULETTE F conservé au Musée de Dieppe. 

Jean GAULETTE est né à Dieppe en 1668, il y fût actif comme sculpteur les mêmes années que FILIE alors il est intéressant d’observer que la signature de Jean GAULETTE et la signature de FILIE utilisent la même graphie et sont sculptées en relief ce qui les rend quasiment inimitables donc certaines.

Signature Jean Gaulette et FILIE Ivoiriers dieppois
Christ en Ivoire de Dieppe XVIIe siècle
Christ en Ivoire de Dieppe XVIIe siècle
Christ en Ivoire de Dieppe XVIIe siècle Signature FILIE
Christ en Ivoire de Dieppe XVIIe siècle
Christ en Ivoire de Dieppe XVIIe siècle
Christ en Ivoire de Dieppe XVIIe siècle


Publié le 17 février 2018

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