P. CRVP VOLLE.F : une signature apocryphe ?

Important crucifix avec Christ vivant en ivoire sculpté et croix en palissandre

Le printemps est une saison féconde pour la nature et pour les Hommes. Il l’est également pour les Crucifix surtout en cette période pascale.

Au printemps 2014, précisément le 29 mars, a été adjugé un

Le 13 avril de ce printemps 2015 sera adjugé un autre Crucifix en Ivoire gravé cette fois au nom de P. CRVP VOLLE

Sur ces 2 Crucifix en Ivoire, le patronyme de la dynastie des CRUPPEVOLLE est gravé sur la plante du pied droit. 

 Similitude de l’emplacement de la gravure
 Similitude du style d’écriture
Similitude du patronyme gravé 

De telles similitudes incitent à envisager que ces 2 Crucifix aient été sculptés par la même main. PAS DU TOUT car la typologie et la technique de ces 2 Crucifix sont très différentes.

Qui donnerait foi à ce qui est écrit se trouverait bien embarrassé. Il ne faut pas l'être car ces signatures sont fréquemment apposées à des fins mercantiles des dizaines voire des centaines d’années après le décès du nom de l'Artiste qu’elles évoquent ...

Important crucifix avec Christ vivant en ivoire sculpté et croix en palissandre

Descriptif du Lot rédigé par l'Expert(e) de la SVV Fraysse & Associés pour la vente du mercredi 13 avril 2016 :

Lot N°142

Important crucifix avec Christ vivant en ivoire sculpté et croix en palissandre.

Tête levée vers le ciel, bouche entrouverte laissant apparaître la langue et la dentition, chevelure avec raie médiane tombant sur les épaules en mèches ondulées, barbe bifide ; réseau veineux apparent sur les bras et les pieds ; périzonium laissant la jambe droite découverte avec chute latérale ondulée ; jambes parallèles avec la gauche légèrement fléchie  et pieds juxtaposés. Signature gravée sous le pied droit P. CRVPVOLLE.F. Fixations en fer forgé au dos avec platines en forme de cœur.

Dieppe, Pierre Cruppevolle (1725-1806), deuxième moitié du XVIIIe siècle. (petites traces de colle)

Christ, Hauteur : 74 cm – Largeur : 48 cm

Croix, Hauteur : 118 cm – Largeur : 80   cm

Ce Christ aurait été offert par Napoléon lors du remariage de sa sœur Pauline au Prince Borghèse.

Mariée en première noce au Général Leclerc, ce dernier meurt de la fièvre jaune en 1802. Napoléon la remarie le 28 août 1803 au Prince Camille Borghèse.

Les Cruppevolle sont une famille d’ivoiriers dieppois qui ont exercé durant tout le XVIIIe siècle et durant le siècle suivant pour le dernier d’entre eux. L’imposant Christ présenté ici est de la main du fils du fondateur de la famille qui portait le même prénom que son père actif de 1706 à 1740. C’est à ce Pierre Cruppevolle Fils que l’on doit attribuer le célèbre Crucifix dit «de La Rochefoucauld» conservé au trésor de la cathédrale de Rouen, d’une taille comparable, qui aurait été offert à Mgr Dominique de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen à partir de 1759 (fig.1). On peut observer en effet de grandes similitudes entre ces deux grands Christ tant dans l’attitude générale avec la tête levée vers le ciel et les jambes parallèles que le traitement du périzonium et sa chute aux fortes ondulations.

Bibliographie :La vie du Christ, Les Cahiers de l’ivoire du Château-Musée de Dieppe, N°4, 2008.

Estimation 8000 / 12000 €


 L'Expert(e) attribue ce Crucifix en Ivoire à Pierre [Nicolas François] CRUPPEVOLLE (1725-1806) Fils de Pierre CRUPPEVOLLE et rapporte qu'il aurait été offert à Pauline Bonaparte par son Frêre Napoléon Ier ?

Si on ne s’intéresse qu’à l’œuvre et non à la signature de l’œuvre on est frappé par la grandiloquence de ce Christ en Ivoire dont la hauteur atteint 74 cm.

C’est un Crucifix fait pour paraître et pour plaire et non une œuvre inspirée de la piété dont elle prétend être l’ambassadrice. Son type iconographique est apparu autour des années 1700,  s’est diffusé pendant tout le XVIIIe siècle et s’est multiplié au XIXe siècle. Ce type iconographique est fréquent.

Les dimensions hors normes du Christ en Ivoire ne convainquent pas de sa grande ancienneté pour la raison simple que travailler une pièce d’ivoire d’une telle dimension présente un tel risque financier qu'aucun ivoirier [sauf exception] ne s'y est aventuré avant l'avènement de la machine à mettre au point et plus sûrement de la machine à copier qui minimisait le risque d'erreur.

Il est donc vraisemblable que ce Christ en Ivoire a été produit, au plus tôt, courant XIXe siècle.

Cette période de production met à mal l'histoire du cadeau fait par Napoléon Ier à sa sœur Pauline en 1803 à l'occasion de son mariage avec Camille Borghèse. Mais la belle histoire est déjà bien bancale quand on sait que le mariage entre Pauline Bonaparte et Camille Borghèse s’est conclus en quelques mois ce qui ne laissait pas le temps à un Maître Ivoirier de recevoir commande et de réaliser de ses seules mains un Christ en Ivoire d’une si grande dimension. Aussi, quand on sait l’appétit de Pauline BONAPARTE pour les relations extra-conjugales on imagine mal son Frère lui offrir un Christ en Croix, symbole du renoncement à soi !

Maintenant qu’on sait que ce Crucifix a vraisemblablement vu le jour courant XIXe siècle, peut-on donner un soupçon de crédit au nom de P. CRVPVOLLE ?

Pourquoi pas ...

Les CRUPPEVOLLE comme la majorité des ivoiriers dieppois formaient des dynasties où l’atelier familial se transmettait de Père en Fils. Or, au milieu du XIXe siècle, un ivoirier dieppois NICOLLE Antoine en évoquant la dynastie des CRUCVOLLE cite le Père, le Fils et le Petit-Fils. On ignore tout du Petit-Fils mais on peut penser qu’il était actif une partie du XIXe siècle si on le fait naître vers 1750.

Nonobstant c’est à un auteur du XIXe siècle que je vais laisser le dernier mot ...

Il s’agit de Spire BLONDEL (1836-1900) Historien de l’Art, Critique d'Art et Collectionneur. 

En 1875 Spire BLONDEL publie une Histoire des éventails chez tous les peuples et à toutes les époques et il joint à la fin de son ouvrage une notice sur l’Ivoire.

A la page 293 de son ouvrage on lit : A la fin du XVIIIe siècle, il ne restait plus à Dieppe qu'un nombre très-restreint d'ivoiriers, derniers débris de cette profession jadis si florissante, lorsqu'en 1816, à la grande surprise des Dieppois, ils virent les Anglais s'enthousiasmer pour leurs petits chefs-d'œuvre depuis longtemps dédaignés. Bientôt, par ce nouveau caprice de la Fortune, il n'y eut plus assez d'ouvriers ivoiriers à Dieppe pour satisfaire à toutes les demandes. C'est alors qu'on se mit à reproduire les ouvrages des anciens-artistes dieppois, tels que les crucifix de Crucvolle, père et fils, ainsi que les rondes bosses de Belleteste


P. CRVP VOLLE.F : une signature apocryphe ?

Dieppe, Pierre Cruppevolle (1725-1806), deuxième moitié du XVIIIe siècle

Publié le 27 mars 2016