Les Christs dits de Bagard : 

Affabulation ou Réalité ?

 Qui pour croire ou affirmer que ce Christ en bois dit de Bagard a été produit au XVIIe siècle ? Réponse : Tous les Professionnels : Commissaires-Priseurs, Experts et Marchands. Les exceptions sont rares !

 J’ai possédé il y a plusieurs années un Cadre-Crucifix avec un Christ dit de Bagard accompagné de Marie-Madeleine. Je l'avais acquis auprès d’un Maître Ebéniste qui faisait occasionnellement le commerce d’Antiquités. Sur son site Internet ce Maître Ebéniste avait publié le descriptif suivant : Christ en Croix et Marie-Madeleine. Bois massif sur fond de velours, Epoque XIX ème siècle. Ainsi et sans ambiguïté le Maître Ebéniste attribuait le Christ en Croix et Marie-Madeleine  au XIXe siècle. On ne saurait discuter l'expertise d'un Maître Ebeniste dans le travail du bois et de ses techniques d’assemblage.

Lorsque, des années plus tard, je me suis défait de ce même Cadre-Crucifix avec le Christ et Marie-Madeleine, le Commissaire-Priseur à qui je l’ai confié, l’a attribué sans ambiguïté à l’Epoque Louis XIV. On ne saurait discuter les compétences d'un Commissaire-Priseur qui était en activité depuis plus de 40 ans.

XIXe siècle ou époque Louis XIV ? 

Avec certitude on peut affirmer que des Deux, du Maître Ebeniste ou du Commissaire-Priseur, l'Un a commis une erreur.

 Un nombre incalculable de ces Christs en Bois dits de Bagard circule sur le Marché de l'Art. Pour moitié, le Christ est accompagné de Marie-Madeleine en pleurs au pied de la Croix, pour moitié Il se présente Seul :

Ces Christs sont dits de Bagard car la tradition les attribuait à César BAGARD, un sculpteur nancéen actif  toute la seconde partie du XVIIe siècle et décédé en 1708 à l'âge de 86 ans. Le sculpteur César Bagard a donc réalisé l'essentiel de son oeuvre au XVIIe siècle. L'attribution à César Bagard de tous ces Christs a été remis en cause dès le XIXe siècle car César Bagard était réputé comme un sculpteur de figures en grand. En aucun cas sa réputation s'étendait à la réalisation de petites sculptures comme tous ces Christs qui circulent sur le Marché de l'Art. L'attribution à César Bagard est donc une affabulation.

Ci-après une sculpture conservée dans l'Eglise des Cordeliers à Nancy. Elle est attribuée à César BAGARD. Elle est de grandeur nature et est en pierre calcaire. J'ai extrait cette photo du Blog de François Munier. 

 Quand est-il de l'attribution de ces mêmes Christs au XVIIe siècle ? 

Elle est probablement aussi fallacieuse que leur attribution à César Bagard et les arguments pour s'en convaincre ne manquent pas.

Le premier est la quantité incalculable de Christs identiques qui circulent sur le marché de l'Art. Une quantité aussi élevée traduit une production de masse, un concept étranger à l'esprit du XVIIe siècle.

Le second argument est l'état de qualité quasi excellent d'une majorité de ces Cadres-Crucifix et de ces Christs. Leur état de qualité n'est guère compatible avec leurs 300 années supposées d'existence. 

Un défaut fréquemment relevé sur nombre de ces Christs dits de Bagard est une fente qui parcoure le thorax sur toute sa longueur. Ce défaut pourrait être interprété comme un signe d'ancienneté mais c'est tout le contraire et c'est le troisième argument. On n'imagine pas au XVIIe siècle un Sculpteur livrer à un Noble ou à un Bourgeois, qui a payé le prix cher pour l'acquérir, un Christ fendu sur toute la longueur de son thorax. Cette fente est la conséquence désastreuse d'un bois qui n'était pas sec lorsqu'il a été travaillé. C'est impensable dans la manière de procéder des Sculpteurs au XVIIe siècle. 

Un quatrième argument est qu'aucun Christ en bois dit de Bagard ne porte la moindre signature ou le moindre indice qui orienterait vers une attribution au XVIIe siècle. Toute attribution sans signature n'est autre que spéculation.

Nota

Un article paru dans la revue France-Antiquités en février 1999 expose et commente un de ces Christs en Bois dits de Bagard. Le Cadre qui sert d'écrin à ce Christ porte les initiales C.B. qui immanquablement fait écrire à l' Auteur de l'article et Propriétaire de l'Oeuvre : La Signature "C.B" fait immédiatement penser à César Bagard. Il semblerait que ce soit le seul objet signé connu à ce jour. J'oppose à cet écrit que des initiales ne sont en rien une signature. Des initiales renvoient à une multitude d'interprétations. Elles peuvent par exemple faire référence à la Personne à qui l'oeuvre a été destinée. Comme toute attribution sans signature, une interprétation d'initiales n'est autre que spéculation.

Il demeure une interrogation : Si tous ces Christs dits de Bagard sont des copies du XIXe siècle quel est le Christ original qui a servi de Modèle ? Je pense l'avoir découvert sur cette carte postale éditée au début du XXe siècle par la Congrégation des Soeurs d'Ernemont :

La preuve de la réelle ancienneté du Modèle des Christs dits de Bagard est apportée par le descriptif qui accompagne la photo du Cadre-Crucifix. Son libellé est sans ambiguïté : il affirme que le Cadre-Crucifix a été offert à Jean-Baptiste de la Salle qui par la suite l'a légué à M. Blain. Jean-Baptiste de la Salle est un Ecclésiastique né en 1651 et décédé en 1719. Quant à M. Blain c'est un Chanoine, né en 1675 et décédé en 1751. 

Si Jean-Baptiste de La Salle est le Donateur de ce Cadre-Crucifix le Christ présenté est antérieur à 1719.

Notez que le Christ de cette Carte Postale est exempte de toute fente sur le thorax et qu'au pied de la Croix se trouve le Blason de la Famille Le Tellier  : "D'azur, à trois lézards d'argent posés en pal, cousu d'un chef de gueules chargé de trois étoiles d'or  dont l'un des membres François Michel Le Tellier (1641-1691) était marquis de Louvois.

Un ou plusieurs Ateliers du XIXe siècle ont copié un Modèle de Christ en bois qui datait de la fin du XVIIe siècle. Au XIXe siècle les copies étaient fréquentes et ce dans tous les domaines. Les ateliers qui produisaient ces copies ne s'en cachaient pas, elles étaient  désignées comme des copies. Le temps passant, les Ateliers ont fermé et la mémoire s'est envolée. De par leur qualité ces copies d'un Christ du XVIIe siècle sont désormais attribuées au même siècle que le Modèle  original et,  je le crois pour la majorité des Intervenants sur le Marché de l'Art, en toute sincérité.

 Preuve du succès au XIXe siècle des Christs dits de Bagard cette photo prise dans le studio du Photographe Isidore Démée (1820-1898) où on voit un Ecclésiastique en Prière avec comme décor un de ces  Cadres-Crucifix qui présente un Christ dît de Bagard accompagné de Marie-Madeleine en pleurs au pied de la Croix.